Au Collège des Bourgmestre et Échevins
Ganshoren, mars 2021
Réaménagement de l’axe Beeckmans-Sorensen-Fabiola-Goedefroy-De Brouckère
Chers membres du Collège,
Cette lettre est le résultat d’une consultation intense entre une vingtaine de Ganshorenois, réunis récemment par 1083/0 et le groupe local GRACQ/Fietsersbond. Ces associations partagent des points communs essentiels : elles visent à améliorer la sécurité routière, à créer des rues accueillantes pour les usagers vulnérables et les modes de déplacement
actifs, mais également à assurer une répartition équilibrée de l’espace public.
Un nombre particulièrement important de personnes vivent sur cet axe emblématique de notre commune. La piscine, les écoles, l’église, les services et le commerce local génèrent beaucoup de trafic dit « de destination ». Notons encore que l’axe accueille plusieurs lignes de bus et beaucoup de trafic de transit. Soyons clairs : pour nous, l’axe est désagréable, manque d’uniformité, ralentit les transports publics, décourage les modes de déplacement actifs et génère des situations dangereuses. Il est crucial de changer cela. Une transformation réussie de cet axe peut avoir un effet de levier pour notre commune, créer un gain de qualité de vie nettement supérieure pour ses résidents, une plus grande attractivité pour les commerces et les services, une circulation plus agréable et plus sûre pour tous ― des plus jeunes aux plus vieux. Nous sommes donc heureux que la commune ait décidé de consulter les résidents à un stade précoce du projet.
Avant toute chose, faisons part de nos critiques sur le projet présenté sur le site web de notre commune. Si nous les formulons ici par écrit, sachez que nous aimerions les clarifier lors d’une entrevue avec notre Collège.
Les points positifs
Notons d’abord que du point de vue de la sécurité routière, le projet comporte un certain nombre de bons éléments. Il est logique et préférable de rétrécir les voiries : à l’heure actuelle, elles sont trop larges. L’introduction de carrefours surélevés est également bonne pour la sécurité : cette intervention peut réduire le nombre d’accidents corporels de plus de 20 %. De même, nous sommes satisfaits des intentions (prudentes) de travailler à une meilleure « image » de cet axe de circulation, avec des arbres, du mobilier urbain, ... Finalement, nous félicitons le Collège de sa conscience de la nécessité d’une véritable infrastructure cyclable.
GoodMove or NoMove?
Dans la présentation du projet de réaménagement sur le site web et dans la presse, le Collège fait référence au plan régional GoodMove comme motivation première. En effet, selon ce plan, dans les prochaines années, notre commune devra s’atteler à la réaffectation de la « maille » (du quartier) située entre l’avenue Charles-Quint et l’avenue de
l’Exposition. Par anticipation et par économie, il nous semble donc impératif que le réaménagement de cet axe principal de notre commune soit, effectivement, coordonné au mieux avec la mise en œuvre de ce plan à Ganshoren.
Sur ce point, notons que le modèle GoodMove de spécialisation multimodale des voiries donne à l’axe Beeckmans-Sorensen-Fabiola-Goedefroy-De Brouckère une définition claire de « Quartier » pour les voitures privées et les poids lourds, et de « Confort » pour les transports en commun, les piétons et les cyclistes. Aujourd’hui, le trafic motorisé y est très dense, avec beaucoup de trafic de transit et des embouteillages aux heures de pointe.
Le statut de « Quartier » du plan GoodMove implique que le volume du trafic automobile devra être drastiquement réduit. Pour faire court, le trafic de transit devra y être éliminé. La séparation du trafic local et du trafic de transit peut se faire de plusieurs manières : par des plans de circulation, par un point de coupure ou par un filtre un peu plus intelligent ― par exemple avec des caméras ANPR qui ne laissent passer que les résidents locaux et d’autres catégories d’exceptions, ou avec une « écluse » qui autorise les bus et les services d’urgence à passer et qui coupe le trafic automobile ordinaire/de transit.
Or, tel que le projet de réaménagement nous est présenté, nous ne voyons pas un seul pas dans cette direction. Le point de départ de la réflexion est plutôt la préservation des flux de trafic existants. Cela nous surprend beaucoup ! Notons encore qu’il y a quelques années, un groupe d’une dizaine de citoyens motivés avait déjà présenté à notre Collège un projet riche qui vise à rendre cet axe moins encombré. Le sujet n’est donc certainement pas nouveau. Dès lors, ce serait une occasion manquée que de ne pas chercher plus de cohérence entre ce projet de réaménagement et la mise en œuvre du plan GoodMove, par exemple en s’inspirant des idées qui ressortent de cet ancien projet citoyen. La mise en œuvre de GoodMove reste le principal levier d’amélioration de l’axe. Un réaménagement anticipe plusieurs décennies, il est donc capital de se projeter dans l’avenir.
Il est évident que la réduction du volume de trafic motorisé est décisive pour la sécurité et le développement des modes de déplacement actifs. Devant la crèche « Nos Bambins », dans la rue Sergent Sorensen, le projet de réaménagement actuel prévoit une grande zone partagée limitée à 20 km/h. Toutefois, nous pensons que ce n’est pas un moyen efficace
d’empêcher le trafic de transit. Ailleurs à Bruxelles, de nombreux exemples nousapprennent que le contrôle (vitesse et priorité de passage) y est très difficile, et que ce type de zone crée des situations dangereuses lorsque le trafic est trop important. Nous sommes donc inquiets. Le véritable enjeu est de rendre l’axe moins encombré — une zone partagée peut y avoir sa place comme cerise sur le gâteau, mais pas comme mesure isolée.
Finalement, nous ne savons pas si les feux de signalisation seront conservés ou non. Or, une réduction significative du trafic motorisé pourrait, in fine, permettre l’élimination des feux — sans effet négatif en termes de sécurité. Autrement dit sans mesures dans ce sens, la préservation des feux sera probablement nécessaire.
STOP ou POST?
Un des autres principes de base du plan GoodMove — auquel la commune adhère — est le principe-STOP : priorité aux « Stappers » (piétons) et aux «Trappers » (cyclistes), viennent ensuite « het Openbaar vervoer » (les transports en commune) et finalement les véhicules motorisés Privés. En dehors du simple fait que pour le plan GoodMove, l’axe possède le statut de «Quartier » pour la voiture et de « Confort » pour les autres modes, nous ne pouvons que constater qu’aucune des propositions du projet de réaménagement n’est compatible avec ce principe directeur STOP.
En effet, notons que le dénominateur commun entre les trois options proposées par notre Collège est qu’environ les deux tiers de l’espace soient réservés à la voiture, circulation et stationnement compris. À première vue, il n’y a pas de véritables mécanismes de priorisation des transports publics. Ensemble, les usagers actifs de la route doivent partager le tiers restant. Pour nous, cela entraîne de lourdes concessions : une vitesse commerciale réduite des transports publics, une infrastructure cyclable peu accueillante ou peu sûre, des conflits entre usagers actifs de la route et une mauvaise accessibilité des trottoirs pour les personnes à mobilité réduite, etc. N’est-ce pas le monde à l’envers ?
Les propositions A, B et C
Faisons maintenant un zoom sur les options A, B et C proposées par notre Collège.
L’option A propose de « mélanger » le trafic motorisé (y compris transports en commun) et le trafic cycliste sur la voirie plutôt que de séparer les deux flux. Dans une rue de quartier plutôt calme – i.e. : moins de 200 véhicules par heure et par direction aux heures de pointe – cette option peut être la bonne. Toutefois, tenant compte de la pente et mis en parallèle avec le statut « Confort » de cet axe, tant pour les vélos que pour les lignes de bus, cette solution est inacceptable. Au reste, les larges trottoirs de l’option A sont attrayants : ils sont excellents pour les personnes à mobilité réduite, offrent de nombreuses possibilités pour le mobilier urbain et les plantations. Cependant, cette proposition ne répond absolument pas au principe-STOP du plan GoodMove.
Avec l’option B, la chaussée comporte des pistes cyclables marquées, mais les trottoirs sont étroits, ce qui ne contribue pas à créer un espace public agréable et accessible. N’estil pas regrettable que les piétons et les cyclistes soient opposés de cette manière ? De plus, les pistes cyclables projetées sont plus étroites que la largeur prescrite par le nouveau manuel édité par Bruxelles Mobilité. La largeur de 1,1 m est inférieure au minimum absolu de 1,3 m et à la norme de 1,5 m pour ce type de piste cyclable marquée. Les nouvelles infrastructures cyclables doivent d’ailleurs tenir compte de la progression de nouveaux types de vélo, comme par exemple les vélos cargo plus larges. La zone tampon de 0,8 m sur la droite entre la piste cyclable et la voie de stationnement est absolument nécessaire (afin d’éviter les emportiérages) et conforme aux directives. En outre, il est recommandé de prévoir une zone tampon plus étroite (fermée par une « ligne Sauwens ») sur la gauche de chaque piste cyclable.
Toutefois, cette infrastructure de qualité inférieure pour les piétons et les cyclistes n’est pas conforme au principe-STOP. Elle ne permettra, notamment, pas aux cyclistes de se déplacer avec un grand sentiment de confort et de sécurité. En comparaison avec beaucoup d’autres communes, l’absence de ce sentiment est précisément la raison pour laquelle, aujourd’hui, nous voyons moins de cyclistes dans notre belle commune, malgré tous ses atouts. Une infrastructure de qualité doit être première, le nombre d’utilisateurs suivra, pas l’inverse – c’est l’une des lois les plus fondamentales de la mobilité.
Avec la dernière option C, à nouveau, on trouve des trottoirs étroits qui cette fois-ci, sont augmentés d’une piste cyclable séparée à double sens. Cette option n’est absolument pas acceptable. Même si elle est (faussement) présentée dans la vidéo comme la plus « sûre » pour les cyclistes, cela n’est pas le cas. Pour faire simple, il est acquis qu’une piste cyclable à double sens présente des risques importants aux carrefours et aux sorties de garage. Si une piste cyclable à double sens peut certainement être une bonne option le long d’une barrière urbaine (par exemple un canal ou un parc), ce n’est absolument pas le cas pour un axe très fréquenté qui sur une distance de seulement 900 mètres, possède pas moins de sept intersections différentes. Tous les experts en mobilité déconseillent fortement ce cas de figure. N’oublions d’ailleurs pas que la piste cyclable est sous-dimensionnée (comme pour l’option B). De plus, elle semble aussi haute que le trottoir piétonnier qui, sans séparation, est inconfortable pour les piétons. À la vue de ces arguments, il nous semble très dommageable de ne pas avoir été impliqués à un stade plus précoce du projet de réaménagement. La présentation de cette option comme étant « la plus sûre » pour les cyclistes aura, de notre point de vue, inutilement influencé l’enquête publique en cours.
Comment procéder?
Notre conclusion est que, dans les formes actuelles, aucune des propositions A, B et C ne répond à nos attentes. De manière étonnante, elles font largement fi du principe-STOP et du plan GoodMove. Surtout, ces propositions ne représenteront pas de (r)évolution significative pour la qualité de vie, l’attractivité, la sécurité et l’image de notre commune. Avec ces options, il y aura toujours des embouteillages depuis « Nos Bambins » jusqu’à l’avenue Charles-Quint, qui continueront à bloquer les lignes de bus. Les résidents devront toujours vivre avec un trafic de transit excessif devant leurs portes. Les cyclistes potentiels, en particulier les nombreux enfants en âge scolaire et leurs parents, seront toujours découragés par la circulation et l’infrastructure. De même ces propositions ne constituent pas non plus une véritable amélioration pour le commerce et les services.
Dans ce sens, nous aimerions voir un projet qui adopte une véritable vision plus globale, qui ose faire des choix clairs, avec 2030 comme horizon temporel au lieu d’aujourd’hui. Faire venir un entrepreneur pour les travaux structurels importants d’une maison sans prendre le temps de consulter, au préalable et de manière approfondie, un architecte ne nous semble pas être une bonne idée.
Le calendrier est clair : à court terme, un nouveau plan de mobilité communal sera élaboré et dans quelques années le plan régional GoodMove devra également être mis en œuvre, avec l’aide des subventions qui l’accompagnent. Ainsi, nous voulons encourager notre commune à poser sa candidature dès que possible, pour le cycle de 2023.
À l’image d’une commune tournée vers l’avenir, nous sommes tous impatients de voir réussir la transformation de cet axe important. Une rénovation de façade à façade ne se produit qu’une fois toutes les quelques décennies. Elle constitue une opération coûteuse qui ne pourra pas, facilement, être ajustée par la suite.
Selon nous les propositions A, B et C semblent donner la priorité au maintien des volumes actuels de circulation et de stationnement, alors même que, dans les années à venir, nous savons que ceux-ci devront être modifiés. Nous sommes bien conscients qu’il s’agit d’un véritable casse-tête, mais ne devons-nous pas avoir le courage de viser des infrastructures à l’épreuve du temps, qui sont capables de soutenir et de supporter un transfert modal significatif ? Par conséquent, nous pensons qu’il serait une bonne idée de mettre la facture actuelle du projet de réaménagement en mode « pause » afin de retourner à la planche à dessin : reculer pour mieux sauter ! Nous vous offrons notre collaboration constructive, et nous espérons pouvoir en discuter avec vous de vive voix dans le futur proche.
En vous remerciant de l'attention que vous ne manquerez pas de porter à notre lettre, nous vous prions de recevoir nos salutations respectueuses.
Le collectif citoyen 1083/0 GRACQ/Fietsersbond
1083.zero@gmail.com bruxellesnordouest@gracq.org
brussel.noordwest@fietsersbond.be

